avril 05, 2007

 

A l'université de Moscou, la fronde des étudiants inquiète le pouvoir

Corruption des professeurs et propagande réactionnaire sont mises en cause.
http://www.liberation.fr/actualite/monde/245662.FR.php?rss=true
Par Lorraine MILLOT, Libération
QUOTIDIEN : jeudi 5 avril 2007
Moscou de notre correspondante

C'est un «Mai 68 russe» qui se prépare, ou une «révolution orange» sur le modèle de celle qui avait balayé le pouvoir en Ukraine l'hiver 2004, suppute déjà la presse russe. Depuis février, un groupe d'étudiants de la faculté de sociologie de l'université d'Etat de Moscou (MGU) ose défier son doyen, à coups de tracts et de pétitions internationales, dénonçant la «propagande réactionnaire et ultranationaliste» en vigueur à l'université.

«Le niveau de notre faculté est tombé pratiquement à zéro, résume Oleg Jouravliov, étudiant en troisième année et porte-parole de la sédition. Tous les professeurs un peu ambitieux ont été renvoyés ou ont démissionné ces dernières années. Aucun intervenant extérieur n'est invité. Un professeur censé nous faire un séminaire sur l'analyse de contenu, nous a avoué : "Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je vais bien imaginer quelque chose". Et en anthropologie, un professeur nous a demandé : "Qui est Lévi-Strauss ?"»
Petit interrogatoire. Grâce à Internet, où ils ont créé leur site (1), les rebelles se sont assuré le soutien de quelques grands universitaires étrangers, comme Michel Wieviorka, président de l'association internationale de sociologie, ou Irène Sokologorsky et Claude Frioux, bons connaisseurs de la Russie. Devant l'esclandre, le recteur de l'université et aussi la Chambre civique, créée par le Kremlin pour occuper le terrain de la société civile, ont promis d'examiner les problèmes soulevés par les étudiants. Mais discrètement, les frondeurs sont aussi soumis à de fortes pressions.
«J'ai été convoquée par un adjoint du recteur, flanqué d'un représentant des forces de l'ordre, qui m'a soumis à un vrai petit interrogatoire», raconte Marina, 19 ans, étudiante en deuxième année, encore toute secouée par l'épreuve. «Cet enquêteur savait par exemple que j'avais déjà participé à des actions pour la protection du lac Baïkal ou que j'avais un piercing dans la bouche. Il m'a demandé si mes parents ont d'autres enfants... Bref, il m'a fait peur», avoue l'étudiante.
Indifférents ou effrayés par ces mesures d'intimidation en tout genre, la plupart des 2 000 étudiants en sociologie de l'université de Moscou se sont bien gardés de rejoindre le mouvement. «Un tiers environ des étudiants nous soutiennent, mais plutôt passivement, par peur des représailles», estime Marina.
Payer la réussite. Par peur ou par paresse, la majorité des étudiants de sociologie préfèrent continuer à étudier, ou faire semblant, comme si de rien n'était : «C'est bien le problème que nous dénonçons, explique Marina. Dans notre faculté, il y a bien 40 % d'étudiants qui ne sont pas là pour étudier, mais pour recevoir un diplôme. Eux, évidemment, ne nous soutiennent guère.»
A la faculté de sociologie de la MGU, comme dans la plupart des facultés russes, il est encore possible de payer pour réussir l'examen d'entrée, obtenir de bonnes notes et le diplôme de sortie, racontent les frondeurs, qui voudraient aussi s'attaquer à ce problème de la corruption des enseignants. Sur quoi le mouvement peut-il déboucher : une grève des étudiants ? Une révolte contre le régime Poutine ? «Non, non, assure Oleg Jouravliov. Nous ne voulons pas une révolution politique, nous voulons une bonne formation.» Cette rébellion n'a rien à voir avec l'Autre Russie, le nouveau rassemblement de l'opposition russe qui s'est fédéré autour du champion d'échecs Garry Kasparov et cherche à multiplier les foyers de contestation, jure cet étudiant.
Désamorcer la crise. Très inquiètes de ces liens, les autorités n'en semblent pas moins résolues à étouffer ce mouvement. Et ce d'autant plus vite qu'il pourrait facilement se répandre à d'autres universités : «C'est la première fois que des étudiants expriment aussi bien leurs problèmes», observe Alexandre Adamski, membre de la Chambre civique, chargé de désamorcer la crise. «Mais ce n'est pas un hasard, poursuit Adamski, le mouvement est symptomatique de la crise de tout l'enseignement supérieur en Russie.»

(1) www.od-group.org

Comments: Enregistrer un commentaire



<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?